Grenoble : le jugement

juil 02, 2015 / 0 comments

Pourquoi font-ils ça ?

C'est une question qui revient sans cesse. Et moi, je me la pose souvent en qualité de journaliste. Et souvent, la réponse est mathématique, philosophique ou scientifique. Mais pas aujourd'hui.

Il y a quelques semaines, j'écrivais un article sur l'initiative de Pauline Lamouroux. Ce reporter a réalisé une exposition de photographies au jardin de ville ce printemps accompagnée de textes écrits par les sans abris. Devinez quoi ? L'exposition a été vandalisée. Elle a tellemet dérangé, que certaines personnes n'ont pu soutenir sa vue au point de décrocher les témoignages. Soit, on a denouveau pendu les photos aux arbres. Cet acte est bien-sûr idiot, il n'a pas marqué plus que ça, la vie continue, on lace ses chaussures, on retrousse ses manches et on passe à autre chose. Puis autre chose vient vous crier au visage tout son mépris.

Quelques jours plus tard encore, les témoignages ont déserté les lieux. On les cherche et puis la brutalité de la haine de certains nous crache à la gueule. Ah ils sont bien là, mais déposés dans et sur des poubelles ! Comme si le premier message n'était pas clair. Cette fois ci, c'est pire : non content de mépriser le travail de Pauline et des éducatrices du CoDase qui l'ont aidée, le message est clair, « Voilà ce qu'on fait de votre projet. »

Les poubelles, les ordures, c'est pire que des insultes et ça révèle parfaitement la philosophie de ces personnes  qui ne supportent pas de laisser la parole aux sans domicile. Et la question revient : pourquoi ?

Le travail dans le social nécessite de toujours se poser ce genre de question, de chercher des solutions, de se démener. Mener un projet photographique, écrit ou raconté, c'est des démarches, des rencontres, des journées passées le nez collé à un écran, dehors ou à courir ici et là pour enfin, voir son implication se concrétiser sous la forme d'une exposition. Deux semaines plus tard, quand ses auteurs la retrouve dans les poubelles, imaginez leur ressenti de ceux qui ont travaillé dessus. 

Et puis il y a aussi la deuxième lecture du projet : l'aspect social. Tous ces sans abris qui s'étaient confiés, laissés prendre en photo dans tout le dénuement de leurs vie, acceptés de se voir agrandis, placardés au mur et qui retrouvent leur portrait aux ordures... Et vous, exposeriez-vous votre vie dans ses aspects les moins flatteurs et vous montreriez-vous sous votre mauvais profil ? En les découvrant arrachées et balancées dans les poubelles, qu'ont-ils pensé? Réfléchissez-y.

Mais bien sûr, l'affront n'était pas assez grand, les mots pas assez blessants, eh oui, le message n'était pas bien passé. Quoi de mieux que de l'étaler en grand sur un site internet ? Ne parlons pas ici de liberté d'expression, ce n'est pas le propos, les gens ont le droit de choisir leur vote mais d'insulter et de rouler dans la boue l'image d'autres, non !

Grenoble le changement (nom du site sur lequel le insultes ont été publiées) propose de rester dans des mentalités archaïques et agressives. Ils exposaient jusqu'à peu de temps, des images appartenant à l'exposition de Pauline et d'autres prises, sans doute par un grand artiste investi de la mission de nous ouvrir les yeux... avec des commentaires très bien inspirés et de bon goût : « Zonard rechargeant sa vessie. » était le sous-titre d'une belle photo d'un jeune homme buvant. Le sujet de cette photo est apparemment devenu pour ces gens-là un signe clair d'affront sans nom et un motif de railleries. Passons sur le fait qu'ils n'ont absolument pas respecté le droit à l'image en publiant sur ce site des photos d'auteur. Plus choquant encore : le ton agressif employé. J'invite tout le monde à lire les témoignages de cette exposition, à regarder les photos et j'offre un trophée de paranoïaque de l'année à celui qui peut y trouver des propos agressifs. Cette exposition rendait parole et dignité aux gens de la rue. Grenoble le changement en a complètement détourné le sens. 

Pourquoi alors ? Je cherche, ces gens se sont-ils sentis « Envahis » dans leur espace public? Soit, ces photos ne sont peut-être pas aussi belles que la bastille, peut-être que l'idée des odeurs de ceux qui n'ont pas la chance de se doucher au moins une fois par jour les ont incommodés?. Mais eux, ces voleurs d'images se sont-ils pas posés la question : « Pourquoi sont-ils là ? »

Ceux qui croient qu'ils passent leurs nuits dehors, leurs jours sous le soleil, la pluie, exposés à des regards tantôt méprisants, tantôt emplis de pitié, pour leur bon plaisir, ont vraiment besoin de faire analyser leur capacité de compréhension. Ces jeunes ont fait des choix, peut-être mauvais, on les leur a peut-être imposé. Ils ont traversé de durs moment et la réponse de ce site est de s'en moquer, de vouloir les repousser hors de la ville. Bien, parfait, bonne idée, créons des favélas pour entourer l'autoroute, c'est vrai que ce goudron-là est déjà peu esthétique, il n'a pas besoin d'être beau. Créons des digues, des quartiers, des guettos, avec de la chance, la marrée de la misère n'atteindra pas les quartiers du centre ville et enfin, tout le monde pourra flâner dans une bulle factice façon The Truman show (film de .

C'est avec ce genre de réaction qui préfère écarter plutôt que de comprendre et de prévenir, que la bulle éclatera, tôt ou tard. Soulevons ensemble le dernier « pourquoi » de cette simili-crise, le dernier pourquoi qui résume bien toute cette affaire.

Pourquoi Pauline et le Codase ont réalisé cette exposition? N'y a-t-il pas de meilleur exemple pour y répondre que ce site, Grenoble le jugement, pardon, le changement ?